MONDIALISATIONS 

1/ La mondialisation dans son essence

La mondialisation est un processus historique, neutre, en œuvre depuis plusieurs siècles, dénué de toute connotation économique, et par lequel nous prenons conscience de notre appartenance commune à la planète Terre et de la solidarité des peuples. En analogie avec le processus d’individuation, la mondialisation recouvre un processus d’ouverture à l’autre avec la reconnaissance de ses différences, dans un monde régi par des règles et des lois. La globalisation de l'information, le développement d’Internet, l'émergence du droit avec la Cour pénale internationale créée en juillet 1998, l’interdépendance des pays, la globalisation des risques écologiques, témoignent de cette mondialisation.

Le défi de la mondialisation devient particulièrement aigu avec la troisième mutation en cours depuis le début du XXème siècle et le principe de la conjonction des opposés (du masculin et du féminin, de la science et de la spiritualité...). La mondialisation devrait permettre la construction d’un monde polycentrique régi par des lois, assurer une régulation de l’économie tout en préservant les grands équilibres environnementaux, favoriser l'humanisation des sociétés. La mondialisation associe ouverture à l’autre (tout individu sur terre est mon égal et a les mêmes droits), refus de l’uniformisation, reconnaissance des différences des peuples et des civilisations, interdépendance avec un principe de coopération entre nations ou ensembles régionaux, sacrifice de la volonté de toute puissance avec reconnaissance de la primauté de l’éthique et du juridique (ce qui passe par la reconnaissance d'une Cour internationale de justice placée au-dessus des Etats et capable d'imposer un règlement pacifique des différends), préservation des grands équilibres écologiques. Dans son essence, la mondialisation est exempte de toute idéologie, rejetant autant le néo-libéralisme que le marxisme, autant le scientisme pur que le dogmatisme de l’intégrisme islamique. Mondialisation rime avec cosmopolitisme, où chaque être humain a les mêmes droits. 

Cette mondialisation s'inscrit dans le cadre de la troisième mutation et implique une remise en question du mode de vie occidental et de la société de consommation, l'acquisition du bien-être matériel n'étant qu'un moyen pour aider l'homme à évoluer en conscience, avancer sur le chemin de l'individuation, renouer avec la dimension sacrée, s'ouvrir au monde de l’Imaginal,  vivre en harmonie avec soi, les autres, et la nature.

Une réforme de l'ONU (et en particulier de l’OMC) est nécessaire pour mener à bien cette mondialisation qui passerait par la constitution d'une douzaine d'entités régionales à l'échelle planétaire (voir Allais ou Gréau), en organisant un système de libre-échange au sein de chaque ensemble régional et entre zones de développement similaire, et en établissant de nouveaux modes de régulation des échanges selon les disparités sociales et économiques, en évitant trop de protectionnisme ou de libre-échangisme, et en favorisant l'autosuffisance de chaque ensemble régional.

Les principes de la mondialisation et la mondialisation du droit international impliquent de revenir à l’esprit de la Charte des Nations Unies, à savoir renoncer à l'Ubris, à la prédation, à la force dans les relations internationales, pour affirmer la prééminence de la justice et du droit international comme autorité supérieure qui s'impose aux Etats ou aux ensembles régionaux, au service de la paix. Ce qui doit remettre en question le droit de veto des membres permanents du conseil de sécurité, comme le mode de fonctionnement d’une institution comme le FMI où le vote dépend de la quote-part financière.

Enfin, cette mondialisation doit s'actualiser par la création d'une société civile à l'échelle mondiale, pour créer un véritable contre pouvoir à l'Ubris. Dans cette optique, il semble logique de procéder par étapes : pays, ensembles régionaux, monde.

2/ La globalisation économique, financière, ou la mondialisation de la prédation

La colonisation et l’exploitation représentent l’opposé de ce processus d’ouverture à l’autre. Ainsi, avec son expansion et la colonisation, l’Europe a développé la mondialisation de la prédation : c’est la loi du plus fort (en son temps, l’Islam fit de même avec ses pratiques esclavagistes). En 1494, le traité de Tordesillas entérine le premier partage du monde. Puis, alors qu’elle est à l’apogée de sa puissance et de sa volonté de pouvoir, l’Europe s’engage dans un conflit auto-destructeur. Au terme de la seconde guerre mondiale, le monde de Yalta est coupé en deux. URSS et Etats-Unis prennent le relais de la prédation. International communisme et mondialisation néolibérale (avec son capitalisme financier) représentent deux versions d’une mondialisation de la prédation, avec la même vision marchande du monde, la même exploitation destructrice de la terre, la même tendance à la négation de la diversité des cultures, traditions et religions des différents peuples. 

A la chute du communisme, le nouvel ordre mondial établi un limes entre le Nord et le Sud, les « civilisés » contre les « barbares ». Cette opposition se retrouve sur le plan économique entre le social-libéralisme et le national communisme, Europe de Maastricht et souverainistes.  

Ce que l'on a coutume d'appeler « mondialisation » est en fait une mondialisation de type économique, encore appelée mondialisation néolibérale, globalisation économique, ou mondialisme avec le projet de gouvernance mondiale d'un monde unifié sur un mode centralisé. Cette globalisation économique est la version ultra-libérale et libre-échangiste de la mondialisation au service des multinationales dont les activités ne sont plus entravées par les législations nationales (AMI, ALENA, ZLEA, AGCS) ou des normes écologiques. Il s'agit d'installer une gouvernance mondiale et de faire disparaître les frontières pour une marchandisation universalisée qui ne puisse être entravée par la puissance étatique, que ce soit sur le plan juridique (d'où les tribunaux d'arbitrage qui permettent aux entreprises privées de poursuivre un Etat lorsqu'une réglementation est susceptible de réduire leurs bénéfices) ou monétaire (d'où la création monétaire aux mains d'intérêts privés).

L'AMI (accord multilatéral sur l’investissement), négocié en secret par la Commission européenne, a été abandonné en 1998 sous pression d’un mouvement citoyen. Il avait pour but de légitimer juridiquement la suprématie des multinationales sur les États en facilitant l’accès à un marché mondial uniformisé par le libre-échange, et dénué de toute contrainte sociale (santé et sécurité des travailleurs) ou écologique. L’article 11 de l'ALÉNA permet à des entreprises de poursuivre des gouvernements et même de forcer l'abandon de réglementations nationales si elles s'estiment lésées dans leur commerce. Les dispositions sur les investissements identiques à celles de l’AMI et de l'ALENA ont ressurgi lors des négociations sur la ZLEA (Zone de libre échange des Amériques). Le Comité 133 a une puissante influence au sein de la Commission européenne pour imposer cette vision prédatrice de la mondialisation.

L’AMI a été relancé en 2001 dans le cadre de l’OMC, à Doha. L’AGCS (accord général sur le commerce des services) vise à démanteler les services publics, l’eau, les services, la culture, la santé et l’éducation. Depuis sa création en mai 1998, le PET ( partenariat économique transatlantique) entreprend des négociations aussi opaques et secrètes que pour l’AMI afin d'atteindre des objectifs de libéralisation au profit des multinationales. L’OMC vise à libéraliser et déréguler tous les secteurs, l’énergie, les services, l’eau, la santé, l’environnement, l’éducation. Ces engagements seraient alors de nature irréversible. Quatre acteurs principaux, l’Union européenne (sous l’impulsion de la Commission européenne qui juge en particulier que l’éducation et la santé sont mûres pour la libéralisation), les États-Unis, le Canada et le Japon tentent d’organiser un libre-échange mondial à leur profit, au travers de négociations opaques et d’un déni démocratique (beaucoup de pays n’ont pas l'expertise ni les moyens humains pour décrypter les règles de l’OMC, selon l’aveu même, en octobre 2003, de son directeur général, Supachaï Panitchpakdi). L’OMC est législateur, juge et gendarme : l’Organisation de règlement des différends (ORD) est la juridiction de référence pour le commerce international, ne prenant pas en compte les critères sanitaires, sociaux ou de protection de l’environnement. Des États peuvent être condamnés s’ils s’opposent aux intérêts des multinationales. L’ORD peut décréter des sanctions en représailles (!) ce qui limite les capacités de réaction du Sud contre le Nord. L’OMC est ainsi le théâtre de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et l’Europe, au détriment des pays pauvres, comme l’a encore montré fin décembre 2002 l’opposition des Etats-Unis à un accord sur l'accès des pays pauvres aux médicaments essentiels malgré les termes de Doha. Les subventions des pays riches à l’agriculture et l’accès aux médicaments deviennent ainsi pour les pays pauvres des motifs fondés pour résister à l’offensive de l’OMC pour libéraliser les services. 

Après l'échec retentissant de Seattle puis l’accord de façade de Doha, le sommet de Cancun de septembre 2003 a de nouveau donné lieu à une impasse. Il a mis en évidence l’arrogance et l’hypocrisie de l’Europe et des États-Unis qui manœuvrent par intimidation et menace de représailles économiques. La confrontation entre le Nord et le Sud a éclaté au grand jour : des coalitions de pays en voie de développement ont vu le jour (jusqu’à 90 pays contre l’Union européenne et les États-Unis) pour tenter de s’opposer aux pressions et contraintes des pays riches. Jim Wolfensohn, président de la Banque mondiale, a ainsi déclaré :  «  Ce qui s'est passé à Cancun doit être un signal d'alarme car les pays en développement - plus de 3 milliards d'êtres humains - ont trouvé inacceptable une conception des négociations dans laquelle on attend d'eux seulement qu'ils répondent à des propositions des pays riches ». L’OMC est apparue telle qu’en elle-même : un symbole d’un rapport de force inique entre les pays riches et les pays pauvres, une institution dépourvue de toute légitimité démocratique. Le prétendu bien-fondé d’une idéologie néo-libérale et du libre-échange est ouvertement battu en brèche. L’issue du sommet de Cancun démontre la nécessité d’une réforme de l’OMC pour instaurer un système économique juste et durable. Il démontre également l’urgence de remédier au déficit démocratique de l’Europe et de réfléchir à la finalité de l’Europe pour revenir aux sources de la mondialisation. 

Comme le dit le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, « la libéralisation a été programmée par les pays occidentaux pour les pays occidentaux et a contribué à une dégradation des économies de beaucoup de pays en développement ». En 1970, on dénombrait 25 PMA (pays les moins avancés) dans le monde. Ce chiffre s’élevait à 49 en 2000. Les Plans d'Ajustement Structurel du FMI ont démontré la plupart du temps leurs effets négatifs sur la croissance, ont exacerbé la stagnation et accentué les inégalités et la pauvreté. Dans la plupart des pays les plus pauvres, non seulement la libéralisation n'a pas arrangé l'économie, mais elle l'a même parfois détériorée. La « Commission Meltzer » avait présenté en 2000 un rapport accusateur contre le FMI, considéré comme un facteur d'instabilité économique. Quant à la Banque Mondiale, elle ne répond pas à ses missions de promotion du développement, de réduction de la pauvreté dans le monde et de protection de l’environnement. Le taux d'échec des projets de la Banque s'élèvent à 60 % dans l'ensemble des PVD.

Selon le Rapport mondial sur le développement humain du PNUD publié en septembre 2005, la réduction de la pauvreté a ralenti dans les années 90. Sont encore privés d'électricité 1,5 milliards d'individus, presque autant n'ont pas accès à l'eau potable et 2,4 milliards ne disposent pas d'installations sanitaires décentes. La pollution est la cause de plus de 3 millions de décès par an, et l'eau polluée de 2,2 millions. 2,8 milliards d'individus vivent avec moins de deux dollars par jour. Le fossé entre pays riches et pays pauvres n'a cessé de se creuser depuis 1960, détruisant toute solidarité entre les peuples. Tout ceci témoigne d'un processus contraire à au sens l'esprit de la mondialisation au sens cosmopolitique du terme.

Autre forme de mondialisation de la prédation, depuis la fin du XXème siècle, on assiste à une mondialisation du terrorisme qui utilise les technologies informatiques, spécule en bourse la veille des attentats du 11 septembre 2001, et tisse ses réseaux dans de nombreux pays dans le monde. Terrorisme, mondialisation ultralibérale, dérégulation des marchés financiers sont étroitement liés. Seuls 2 à 3 % des avoirs financiers des organisations terroristes ont été bloqués après les attentats du WTC. Il semble plus facile de mener une guerre que de lutter contre la criminalité financière. Rien bien d'étonnant en fait : en tant que couple d'opposés, la mondialisation néolibérale et l'intégrisme islamique se nourrissent l'un de l'autre.

Quant à la mondialisation financière, celle-ci n'est pas tout à fait récente car elle a commencé à la fin du XIXème siècle, vers 1870, avec un pic atteint en 1913, un effondrement puis une reprise à la fin de la première guerre mondiale pour atteinte un nouveau pic jusqu'en 1929. Cette première phase est caractérisée par des investissements de capitaux sur du long terme (plusieurs années). Dans cette optique où la finance coopère avec le capital, l'investissement peut générer un gain mutuel, pour l'investisseur et pour l'entrepreneur, avec un bénéfice réel sur la croissance.

La fin du système de Bretton Woods en 1971 et le passage à un système de changes flottants en 1973 marquent une reprise de la mondialisation financière. La crise de 1973 marque le début d'une conversion progressive au libéralisme. Les taux d'intérêt sont ensuite libéralisés dans les années 1980. Puis la mondialisation financière connaît une phase explosive depuis 1990 (date de la libéralisation des mouvements des capitaux en Europe), en particulier grâce à la contribution des socialistes français (voir le livre d'Aquilino Morelle, L'opium des élites). Cette seconde phase est caractérisée par la prépondérance des mouvements de capitaux à très court terme (une vingtaine de minutes). Selon François Morin ( « Le nouveau mur de l'argent » ), nous entrons vers 1995 dans un nouveau monde, un monde où le risque, initialement sur les épaules de l'actionnaire, est transféré sur l'entreprise et les salariés. En 2005, l'économie financière représente 46 fois l'économie réelle. La rentabilisation du capital se fait au détriment de la montée du chômage, l'augmentation des dividendes aux actionnaires se fait au détriment des investissements. 

Dans cette optique où la finance devient totalement autonome, la libéralisation des mouvements de capitaux majore fortement le risque de bulles financières et de crises financières. La libéralisation financière est un très bon indice prédictif de crise financière.

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