L’IMAGINAIRE – LE SYMBOLIQUE

 

 Dans les premières semaines après la naissance, le MOI vit dans une relation indifférenciée au monde, à la mère en particulier. Il ne fait pas la distinction entre lui et l'extérieur. Le nouveau-né perçoit le monde de façon hallucinatoire, le sujet et l'autre sont confondus dans une relation fusionnelle. Il n'y a pas encore de représentation interne de l'objet extérieur, le sujet et l'objet sont indifférenciés. Les pulsions internes envahissent tout le champ de la réalité, l'inconscient se fond dans le monde extérieur. Il y a prééminence du principe de plaisir. On parle de psyché archaïque, d'identité archaïque du sujet à l'objet, de « participation mystique » (Lévy-Bruhl) avec projection de l'inconscient dans l'objet (transfert inconscient d'éléments psychiques propres au sujet sur un objet extérieur) et introjection (processus d'incorporation) de l'objet dans le sujet (pour l'animiste, tout est animé par des esprits et des dieux), de l'Imaginaire (Lacan), du SOI Primaire, indifférencié, également représenté par la syzygie primitive : conjonction-confusion des principes masculin et féminin (l'introjection de l'image des « parents combinés » de M. Klein, union du cannibalisme dévorant et de l'esclavagisme sadique, et la projection de ces pulsions archaïques sur l'autre) correspondant à l'indistinction des figures parentales.

 

Puis le MOI va progressivement émerger de la conscience et sortir de cette relation fusionnelle au monde. Mais aux premiers stades de sa relation avec le monde extérieur, le MOI appréhende l'extérieur sous forme d'objets partiels (le sein en particulier), et non sous forme d'objets totaux. Le MOI primitif manque de cohésion : il est dominé par le clivage des pulsions, et leurs projections sur un objet extérieur. Le développement psychoaffectif du nourrisson passe par le conflit amour / haine.

 

L'enfant s'attend à ce que tous ses désirs soient comblés et réalise douloureusement sa dépendance quand ses besoins vitaux ne sont pas immédiatement satisfaits. Il vit des expériences tantôt agréables et gratifiantes, tantôt frustrantes et génératrices de colère et d'agressivité. Il va identifier son MOI aux images gratifiantes, à la bonne mère, au bon sein, au bon objet, investi d'un véritable pouvoir et d'une autonomie. Le bon objet provoque un sentiment de sécurité et favorise la construction du noyau du MOI (M. Klein). Il est ainsi introjecté et assimilé au MOI tandis que le mauvais sein, celui qui frustre (les vécus de perte et de deuil, les séparations d'avec la mère qui des vécus angoissants et insupportables, la non satisfaction immédiate des besoins vitaux) devient un objet persécuteur (le Surmoi sadique apparaît tôt). De plus, les pulsions internes destructrices (l'agressivité, les pulsions de mort et les phantasmes sadiques-oraux) sont projetés sur l'image de la mauvaise mère, du mauvais sein.

 

C'est ce clivage qui provoque la séparation de la conjonction - confusion des opposés des archétypes, du SOI Primaire.

 

Dans cette position dite schizoparanoïde des trois ou quatre premiers mois, l'objet extérieur est clivé (le MOI naissant ne peut réaliser que l’autre soit à la fois bon et méchant, qu’il s’agit du même sein qui se donne et se refuse, présent ou absent), tout comme les pulsions internes (le MOI  est lui-même en partie mauvais). Des positions ambivalentes comme l’amour et la haine ne peuvent coexister dans la psyché naissante. Le MOI aime la bonne mère et voudrait détruire la mauvaise mère. Les pulsions internes, bonnes ou mauvaises, sont phantasmatiquement projetées sur un bon et un mauvais objet. Le clivage est extrême. Le bon objet (le bon sein) est introjecté et idéalisé, permettant ainsi au MOI d'échapper aux frustrations et à l'angoisse de type paranoïde peur d’être détruit mais aussi la projection des sentiments de haine). Le bon objet construit le MOI ce qui permettra ultérieurement d'appréhender progressivement l'objet persécuteur. Les pulsions destructrices sont en partie projetées sur le mauvais objet (le mauvais sein) ainsi mis à l'écart mais le MOI vit dans la crainte du retournement contre soi des mauvaises pulsions (identification au mauvais objet) et dans la crainte du morcellement par les pulsions sadiques-orales (on en retrouve trace dans l'expression populaire « éclater de rage »). Le bon sein recherché est incorporé, ce qui équivaut à le détruire, ce qui transforme celui-ci en mauvais sein qui cherche à se venger.

 

Avec l'amour qu'apporte la mère au nourrisson, avec l'intégration des bons objets, avec le développement et la construction du MOI, le clivage s'atténue, ainsi que la violence des pulsions destructives. Lorsque, vers le cinquième mois, la mère est vécue, non plus comme objets partiels (avec un autre-persécuteur et un autre-nourricier), mais comme totalité, parfois aimante, parfois vécue comme indifférente ou méchante, l'agressivité ne peut plus se projeter sur l'image de la mauvaise mère, elle est refoulée dans l'inconscient (processus également à l'origine de la culpabilité et du désir de réparation). La confrontation à la réalité provoque un désenchantement du monde (la position dépressive de M. Klein, l’angoisse dépressive étant liée à la peur de détruire celui qu’on aime). L'enfant se reconnaît comme sujet total progressivement séparé de sa mère. Il y a une certaine perte de l'idéalisation, une « dé-idéalisation » (M. Klein), tant de l'objet que du sujet. L'objet peut être bon sans être parfait, il peut être absent et présent, il peut également être présent pour un tiers (la mère n'est pas entièrement tournée vers l'enfant, ses pensées sont aussi tournées vers le père). L'atténuation du clivage permet la confrontation et la synthèse des différents aspects de l'objet en l'individu, du bon et du mauvais objet. Parallèlement à la vision d'un objet total, le moi s'unifie par l'intégration d'un Surmoi moins sadique que celui de la position schizoparanoïde et d'un Idéal du Moi moins exigeant. Par les deuils successifs liés à l'alternance de gratification et de frustration, le nourrisson devient plus autonome par rapport à sa mère, apprend à fantasmer et à attendre en l'absence de sa mère, et investit dans le monde extérieur. Il intègre peu à peu son propre potentiel de destructivité, il est confronté à ses propres sentiments ambivalent comme à ceux des autres avec lesquels il peut vivre sans craindre de détruire l’objet d’amour.      

 

Le clivage permet la construction du MOI et la neutralisation de l'angoisse, mais il est en même temps à l'origine du refoulement et de la projection du mauvais objet, de l'ombre sur l'autre (l'ombre est constituée de toutes les composantes rejetées, refoulées, non reconnues par le sujet, et projetées sur les autres). Le clivage amorce l'ouverture sur le monde extérieur (processus d'exogamie) et permet la séparation des opposés au sein du SOI Primaire, de la syzygie primitive, la séparation du masculin et du féminin archaïques, la différenciation des individualités parentales.

 

Le passage de l'imaginaire au symbolique, du pré-réflexif au bi-réflexif, traduit la nécessaire distinction entre sujet et objet, le renoncement à un soi primaire fusionnel et mortifère permettant la séparation des opposés confondus dans une unité primordiale. La prise de conscience de l'ombre signe le passage du pré au bi-réflexif. Le sujet se différencie de l'imaginaire primitif hallucinatoire par confrontation au symbolique. Le sujet est entre réalité psychique (les structures invariantes, les archétypes de l'inconscient collectif qui ont à se structurer et à se symboliser dans l'imaginal) et réalité physique. Le sujet doit se différencier des deux.

 

Le principe de réalité fonde l'ordre symbolique (Lacan), l'ordre de la réalité, organisée selon des règles et des lois. Ce passage de l'imaginaire au symbolique lors de la structuration de l'individu est du même ordre que le passage de la nature à la culture lors de la structuration des premières sociétés humaines sous l'influence de la prohibition de l'inceste, et donc de l'ouverture au monde extérieur (par la loi de l'échange et l'exogamie). La tentation de retour en arrière, au SOI Primaire, aux images archaïques, signe une psychose ; le processus du clivage reste alors toujours actif, et le MOI morcelé.

 

Dans la relation privilégiée mère-enfant, l'enfant est dans la fusion à la mère et désire être tout pour sa mère, il cherche à se faire le désir du désir de la mère (pour Lacan, il cherche à être le Phallus, c'est-à-dire le sentiment de toute puissance qui comble le manque), et cette étape est vitale pour le développement psychoaffectif de l'enfant. La loi du père (la fonction symbolique du père, le « Nom du père » pour Lacan) vient couper ce lien fusionnel entre la mère et l'enfant. L'enfant se heurte à l'interdit de l'inceste et doit renoncer à être l'objet du désir de sa mère (le père prive également la mère de l'enfant identifié à l'objet de son désir). Ce renoncement à la fusion totale est tout autant vital car il permet la construction du moi. Le pouvoir de la loi permet de libérer l’enfant de la fusion à la mère.

 

En acceptant la réalité, d'avoir une puissance limitée par l'intériorisation du surmoi, en reconnaissant qu'au delà de l'amour de ses parents et de sa mère pour lui, le désir est entre les parents, l'enfant accède à la culture, à la civilisation organisée par la loi, et au langage. Libéré d'une relation fusionnelle à la mère, par le sacrifice de l'inceste, l'enfant devient autonome et peut mener sa propre vie.

 

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Il existe une parenté de structure entre la psyché de l’enfant (relation fusionnelle, non différenciation du moi et de l’autre) et l’univers primitif avec sa vision prélogique (Levy-Brühl ), l’animisme, l’état de Nature où le monde est expliqué par les esprits. L’homme primitif fait partie d’un tout qui est la véritable entité dont il n’est qu’un élément et sans lequel il ne serait pas. Rien n’existe en dehors de ce tout, où le temps s’écoule de façon circulaire (histoire sacrée qui se répète).

 

L'Imaginaire correspond également à l'ordre éternel du Moyen âge où tout individu avait une place fixe et immuable dans une société régit par des règles religieuses. Il n'y a pas d'individualité possible.

 

Le Symbolique correspond à l'organisation des sociétés par des règles et des lois, la naissance de l'Etat Nation, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l'art la science, le nouvel ordre séculier régit par la science et la technique. C'est l'archétype du Père, avec la prohibition de l’inceste, qui permet le passage de l'Imaginaire au Symbolique. L’exogamie entraîne la différenciation des opposés, et en particulier la répartition des quatre structures familiales exogames dans l’aire européenne. Le temps s’écoule de façon linéaire.

 

Le scientisme, qui trouve son apogée à la fin du  XIXème siècle, a la prétention de tout expliquer et d’éliminer toute référence à la pensée mythique. Ce processus au niveau historique aura pour conséquence la déchristianisation qui trouve son achèvement dans la seconde moitié du XXème siècle. 

 

En analogie à l’imaginaire et au Symbolique, l’ordre mythique et l’ordre séculier apparaissent en fait aux deux extrémités d’un schème évolutif dans l’histoire de l’Europe. Mais se pose maintenant la question de la conjonction de ces deux visions, dans un au-delà représenté par l’Imaginal, du fait 

- de la remise en question du scientisme, du mythe du progrès et de la croissance illimitée

- des dérives vers une société normative telle qu'est devenue une Europe dirigée, non par une vision politique ou un projet de société, mais par des règles et des lois fixées dans le marbre des traités, sous l'obédience de la nouvelle religion néolibérale, et de l'instrumentalisation de la science par le politique comme lors de la crise de la Covid 19. 

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